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INORGANICS

08/29/2018

 

 

INORGANICS, Véronique Bourgoin, Juli Susin , Paul Akije

À l’occasion de ART-O-RAMA /Marseille, Stand: Arnaud Deschin Galerie, 
REGAL’O (Bénédicte LE LE JAN) 108, rue Sylvabelle 13006 Marseille

PREVIEW: Samedi 1er septembre 9H30-11H , VERNISSAGE: Jeudi 6 septembre 18H30-21H

Valeria Cetraro , « Altérations de la matière et subversions du réel. »

 

 L’exposition « Inorganics » présente un ensemble d’œuvres réalisées par Véronique Bourgoin, Juli Susin et Paul Akije au cours de l’été 2018 dans l’atelier de céramiques Ernan / Pacetti à Albisola (Italie), fondé par Ivos Pacetti, célèbre peintre et céramiste italien1.

Depuis leur participation à la première édition de la biennale de céramique de Savona en 2005, Véronique Bourgoin et Juli Susin travaillent régulièrement dans les ateliers d’Albisola, invitant de nombreux artistes au sein de projets collectifs, poursuivant l’histoire vivante d’un lieu qui a accueilli et inspiré le travail des futuristes, de Lucio Fontana, de Wifredo Lam et d’Asger Jorn, là où successivement, le Spatialisme, le Mouvement international pour un Bauhaus Imaginiste et l’Internationale Situationniste ont vu le jour.

 

  Face aux émergences sans racines pour lesquelles nous (critiques, commissaires, galeristes) nous affairons à construire un sol fertile et stable, le travail de Véronique Bourgoin, Juli Susin et Paul Akije, ont un commun dénominateur : le fait de se situer dans un interstice spatio-temporel où le devenir de l’avant-garde serait possible dans notre contemporanéité, par une naturelle réactualisation de son caractère subversif, par l’ambiguïté amusée d’un rapport à l’histoire toujours présent et pourtant biaisé par la fiction et le leurre. Il est alors possible de citer l’installation Vrai ou faux (2009), pour laquelle Véronique Bourgoin réalise, entre autres, un fac-simile du quotidien Le Monde, ou le travail photographique de Juli Susin au sein duquel l’artiste utilise ses propres prises de vue comme si elles étaient des images d’archives. Si d’une part, l’épaisseur du travail des artistes est le résultat d’un tissage de relations avec l’histoire, il est pourtant difficile de distinguer ce qui émane de l’histoire elle-même et ce qui est le fruit d’un jeu fictionnel. Cela, dans le but de faire basculer notre regard sur la réalité, sur sa représentation et sa transformation. Il s’agit de remettre en cause l’écriture même de l’histoire collective et/ou des histoires individuelles, en nous faisant prendre acte de la multiplicité de points de vue qui construisent et altèrent nos réalités. Un message subliminal, c’est en cela que résiderait peut-être, le caractère subversif de leur œuvre, et comme dirait Juli Susin, il s’agirait d’une façon de « protéger notre cerveau, devenu l’enjeu d’un colonialisme d’un genre nouveau…»2. Cela n’est pas sans rappeler une phrase qui résonnait dans l’Arnaud Deschin galerie en juin 2018, à partir de la vidéo de Paul Akije n.12 12’19 » : « If you change your mind, you know where to find me. » Dans un milieu artistique où l’image même de l’artiste serait devenue une marchandise, il est possible de s’adresser à Paul Akije uniquement à condition d’aller au-delà des apparences, au-delà des discours critiques formatés qui souvent construisent le « packaging » des œuvres et des démarches artistiques contemporaines.

 

 Au sein des œuvres des trois artistes présentes dans l’exposition « Inorganics », les fantômes des prédécesseurs d’Albisola n’apparaissent que par flash. C’est l’inconscient du lieu qui agit au sein de leurs pratiques respectives, confrontées aux potentialités d’une matière faite de feu, de couleur et de lumière : la céramique. Il est alors intéressant de repenser aux paroles du critique d’art Guido Ballo selon lequel dans le Spatialisme de Fontana « tout nous reporte aux zones de l’inconscient, où l’espace n’a plus de centre et la surface n’existe pas »3. Également, dans le « Manifiesto Blanco » de Fontana, nous pouvons lire que «toutes les conceptions artistiques sont dues à l’inconscient»4. Quelque chose se passe à Albisola, entre l’inconscient du lieu et l’inconscient qui guide l’imagination des artistes. Les œuvres de Bourgoin, Susin et Akije, semblent avoir pris forme dans un trou noir sidéral, tels des météorites, dont certaines seraient issues d’une catastrophe, comme la sculpture scaphandre de Juli Susin (Volé au miroir, 2018), réalisé à partir de la technique japonaise du Raku. Ce dernier nous introduit dans des abysses où des montres Ballardiennes sont les fossiles prématurés d’un temps en transformation (Juli Susin, Sirius, 2018). Déesses, guerrières ou robot Itech (Instant zero, 2018), les personnages de Véronique Bourgoin semblent surgir d’une réaction chimique où se mélangent passé et futur. Ces créatures double face, qui rejoignent des dessins et encres réalisés par l’artiste en 2008, apparaissent comme des spectres de lumière marchant sur le fil d’une temporalité suspendue. Nous découvrons aussi une tête de femme en céramique couverte d’or, réalisée dans la continuité de portraits de femmes historiques dessinés antérieurement par Véronique Bourgoin (Quasar, 2018). Sauvée de l’explosion, grâce à des failles crées par Juli Susin au moment du séchage, cette pièce semble être le résultat d’une alchimie, d’une solution de continuité entre les creux et les reliefs de la matière, entre l’intérieur et l’extérieur, évoquant le dynamisme de la matière spatiale de Lucio Fontana souvent fondé sur un renversement vide-plein. Cela dans le sens que le vide et le plein ont une importance égale, et coexistent au sein de l’œuvre. Il en est ainsi des sculptures de Juli Susin telle que Hypnose, 2018, un hibou dont le regard nous absorbe dans son ventre vide, et Heldscalla, 2018, un grand sombrero réalisé en Raku5, évoquant à la fois une planète tournante, et à la fois un végétal dont la métamorphose de la matière aurait été figée par le feu, passant de l’état organique à cet état « inorganic » qui donne le titre à l’exposition. La dichotomie organique/inorganique est aussi contenue dans la série de flacons de Véronique Bourgoin (Bleu Chanel, 2018), où l’objet « fini » du flacon ainsi que sa formule chimique coexistent avec la trace, sur une de ses faces, de son altération organique. Ces altérations de la matière, qui caractérisent l’ensemble des œuvres exposées, symbolisent une réalité toujours en transformation et toujours subvertie par le dépassement du projet initial, le nôtre ou celui de l’artiste.

 

 1 L’atelier est actuellement dirigé par Ernesto Canepa et Anna-Maria Pacetti, fille de Ivos Pacetti.

2 Propos de Juli Susin recuieillis lors d’une discussion à propos de la recuperation des formes d’activisme par le pouvoir dominant, le 04.08.2018 à l’OFFICE, Montreuil.

3 BALLO, Guido in HESS Barbara, Fontana, Editions Tachen, 2017, Köln, p. 26

4. Les œuvres en Raku on été réalisées par Juli Susin dans l’atelier de Guido Garbarino (Albisola, Italie).

 

 

 

 

Bénédicte LE LE JAN / Contact : +33 (0)6 61 33 33 63 / benedicte@regal-o.com

 

 

 

 

 

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